Caractéristiques sociales et politiques

[La version de ce texte publiée dans les Annales 2013 comporte de nombreuses notes et des illustrations que nous n'avons pas reproduites ici. On pourra s'y reporter.]

Pour Messieurs seulement


L’absence des femmes dans une société comme l’Émulation n’a rien de surprenant dans un environnement culturel et légal qui fait d’elles, et pour encore bien longtemps, des citoyennes de deuxième classe, bien en retrait de ce qu’auraient pu laisser espérer certains élans féministes de la fin du XVIIIe siècle. Pourtant, elles jouent souvent un rôle économique réel et prennent parfois des initiatives qui leur ouvriraient les portes de la Société, si seulement elles étaient des hommes. Mais en 1825, la question de leur admission dans la Société ne se pose tout simplement pas. Ce sera certes le cas une quinzaine d’années plus tard, à un moment critique où l’assiduité aux séances s’étiolait dangereusement. Le préfet de la Bergerie  proclamait alors que « les dames […] mériteraient d’y être appelées, [car] si elles n’ont point de diplômes, elles ont, dans un degré infini, l’exquise pensée de tout ce qui est beau dans le monde : l’amour de Dieu, la sagesse, le culte de l’esprit, les bienfaits et la tendre pitié ». Et l’on débattit quelques temps de leur admission, mais sans suite. Il faudra attendre 1921 pour voir une femme entrer à la Société d’émulation.

 

Position sociale et orientations politiques

 

Des « notables »


Sans surprise, les membres de la Société d’émulation de cette époque appartiennent à la catégorie dite des notables, à l’échelle du département bien sûr. Sur la période 1825-1835, la seule exception est un garçon de ferme, Grangé, dont nous reparlerons, mais c’est un garçon de ferme devenu une célébrité grâce à l’invention de la charrue qui porte son nom. Il ne faut cependant pas assimiler ces notables à la seule frange la plus fortunée de la population. Certes, nous allons trouver les Doublat, richissime financier public et privé, Falatieu, propriétaire de la manufacture de Bains, ou le duc de Choiseul, pair de France. Mais si l’on rapproche les listes des membres de la Société des listes électorales, on ne trouve sur les premières que huit éligibles en 1824 sur les cinquante que compte le département, ce qui montre a contrario que plus des quatre cinquièmes des Vosgiens les plus riches ne sont pas à la Société d’émulation. Sur la liste des électeurs de juin 1830, donc avant l’abaissement du cens à 200 francs et avant la prise en compte des mesures qui confèrent la qualité d’électeur aux adhérents des sociétés savantes, on trouve à peu près 25 électeurs à l’Émulation, ce qui implique que les trois quarts de l’effectif de la Société paie moins de 300 francs de cens. L’abaissement du cens à 200 francs en 1831 qui aurait pu nous montrer la proportion de personnes payant cette somme ne concernera pas les membres de la Société d’émulation. Ils figurent en effet déjà ès qualités sur les listes électorales, comme nous venons de le voir.

Une fonction publique surreprésentée


Sur le plan des situations professionnelles, il n’est pas toujours possible non plus de situer les personnes avec précision. Les listes ne mentionnent en effet souvent qu’un seul état, par exemple maire ou député, alors qu’il est plus que probable que les intéressés ont aussi une profession ou une situation de fortune qui leur permet de vivre de leurs rentes. Il arrive même que l’indication d’état change d’une liste à l’autre. À ces réserves près, l’étude de la répartition professionnelle des membres de la Société comporte quelques caractéristiques intéressantes.

Alors qu’elle œuvre énormément en faveur de l’agriculture, la proportion des cultivateurs identifiés comme tels y est très faible (4 % en 1825, 1 % en 1835). Sans doute faut-il prendre en compte avec eux certains membres déclarés comme propriétaires, sans autre mention, qui peuvent pratiquer un faire valoir partiellement direct de leurs biens (8 % en 1825, 7 % en 1835). Plusieurs d’entre eux sont coutumiers d’essais de semis, de plantations, de techniques agricoles et forestières diverses. C’est par exemple le cas d’Évon père qui sème des mélèzes, de Derazey qui crée une ferme modèle à Saurupt sur la commune d’Harol, et même de Doublat qui ne ménage pas les efforts de son personnel pour toutes sortes d’essais dans ses jardins du château d’Épinal. Mais il est certain que l’immense majorité des paysans vosgiens était largement étrangère au monde de l’Émulation, et réciproquement, ce qui ne sera pas sans conséquences négatives sur l’efficacité de l’action de cette dernière qui se verra petit à petit supplantée par des structures plus proches des cultivateurs comme les comices agricoles.

Des professions indépendantes comme les avocats, avoués ou notaires représentent 5 % des effectifs en 1825 et 1835. Les industriels, fabricants et négociants sont 5 % et 4 % à ces mêmes dates. Les médecins sont bien présents avec 9 % à la création et 14 % dix ans plus tard. Des professions et états divers constituent une part de 7 à 11 % : un pair de France (duc de Choiseul), un pasteur (Oberlin), un architecte, un pharmacien… Il est à noter que le clergé catholique est extrêmement peu représenté : un curé, celui de Pouxeux, un séminariste, et le principal du collège d’Épinal. Pressenti, l’évêque  avait décliné l’invitation. Faut-il voir dans cette réserve une méfiance envers une société à laquelle on a souvent prêté des orientations politiques peu compatibles avec celle de l’Église de l’époque ? Nous y reviendrons. On pourrait noter que le pasteur Oberlin représente l’Église réformée, mais son adhésion à l’Émulation est restée somme toute symbolique, ne serait-ce qu’en raison de son grand âge. Nous ignorons si d’autres membres de confessions protestantes adhèrent à la Société. Enfin, aucun nom de famille israélite connue à Épinal à cette époque n’apparaît dans les listes.

Mais ce qui frappe vivement le regard, c’est l’énorme proportion de membres de la Société appartenant à la fonction publique, prise dans une acception large. Si l’on réunit les magistrats, très présents, les militaires, les professeurs, les conservateurs et bibliothécaires d’établissements publics, les fonctionnaires de la préfecture, des impôts, des forêts, du cadastre, les vétérinaires et architectes du département, les ingénieurs des Ponts et des Mines, sans oublier les sous-préfets et le préfet lui-même, on atteint 51 % de l’effectif en 1825 et 57 % en 1835. Encore ce pourcentage ne tient-il pas compte des maires (11 et 3 % identifiés comme tels), nommés par l’autorité préfectorale ou royale selon l’importance de la ville, ou de tel ou tel membre du Conseil général, également nommé, et même des rares ecclésiastiques, rémunérés par l’État concordataire.

Cette très forte proportion de personnels dépendant plus ou moins directement de l’autorité préfectorale reste dans le droit fil de la composition des deux organismes aux origines de l’Émulation, la Société d’agriculture et de la Commission des antiquités, dont personne n’a jamais douté qu’ils étaient à la disposition du préfet, créés par lui, entretenus par des subventions publiques votées par un Conseil général nommé, et approuvés par les ministères compétents, en fait le ministère de l’Intérieur, tutelle directe des préfets. Le lien organique entre la Société d’émulation et la préfecture ne fait alors vraiment aucun doute. À moins de s’interroger sur la place et le rôle de la section des Sciences et Belles-Lettres, assez curieusement créée ex nihilo en 1825, question sur laquelle nous reviendrons.

 

Une majorité libérale et orléaniste


L’évolution politique du règne de Charles X fut telle qu’il devint difficile de trouver suffisamment d’hommes à la fois compétents et fidèles aux Bourbons. En effet, si, au prix de quelques bricolages des listes, les élections de 1824 avaient envoyé à la Chambre, pour les Vosges, cinq députés (sur cinq) favorables à Villèle, donc ultras ou proches des ultras, celles de 1827 font élire d’abord quatre puis cinq libéraux, malgré d’importantes pressions sur les électeurs. Le seul partisan du gouvernement élu temporairement cette année-là aura été Cuny, déjà élu en 24, procureur du roi et personnalité éminente de l’Émulation dont il avait fait automatiquement partie en sa qualité de président de la Société d’agriculture. Quelques noms de la noblesse légitimiste comme les de Ravinel, de Ménonville ou de Bazelaire apparaissent avec lui dans les listes de la Société sous la Restauration, mais ne semblent pas avoir une part active aux activités. Ils quitteront la scène sous la Monarchie de Juillet et Cuny lui-même fera l’objet d’une radiation de la liste des titulaires pour cause d’absentéisme persistant.

L’état d’esprit de la majorité des membres de la Société se situe dans l’opposition à la politique ultra de Villèle, puis de Polignac, après l’intermède Martignac. De nombreux indices vont dans ce sens. Créée au plan national en 1827, la société « Aide-toi le ciel t’aidera », que fréquentent aussi bien Lafayette qu’Auguste Blanqui ou Cavaignac, est un prototype des partis politiques modernes conçus comme des machines à gagner les élections. Elle comprend tout ce que l’on peut classer à gauche de Villèle, des royalistes partisans d’une lecture plus démocratique de la Charte aux républicains à tendance sociale. On y trouve quelques sociétaires de l’Émulation comme Pellicot, Deblaye, Dutac, Vadet et surtout Collard de Martigny, libéral très actif par ailleurs secrétaire de la Société d’instruction primaire de l’arrondissement de Mirecourt qui promeut le mode d’enseignement mutuel, cheval de Troie libéral et anticlérical dans le monde scolaire. Et il n’est pas inutile de remarquer ici que les premiers instituteurs médaillés par l’Émulation sont justement des adeptes du mode mutuel d’enseignement.

L’attitude et les discours tenus par les responsables de l’Émulation au moment des changements politiques et surtout après les journées révolutionnaires de juillet 1830 et la chute des Bourbons ne laissent aucun doute sur leurs préférences libérales et orléanistes. Ils n’ont pas de mots assez durs pour La Bourdonnaye, ministre de Polignac ultra parmi les ultras, qui a pourtant signé l’ordonnance de la reconnaissance royale de la Société. Ils s’enflamment sur la liberté retrouvée et tressent des lauriers au préfet Nau de Champlouis, libéral notoire qui avait démissionné avec fracas à la nomination de Polignac.

Des industriels comme Falatieu, Champy, Vaulot, candidats libéraux aux élections et partisans intéressés des mesures économiques et douanières libérales, font ou feront bientôt partie de la Société d’émulation, comme Colombier, Gauguier, Muel, dont certains ont peut-être aussi quelques sympathies républicaines. Parmi ces membres ou futurs membres, on compte également des orléanistes comme le duc de Choiseul, Doublat, Marant, D’Hennezel, Sautre, Drouel, Husson, Delpierre, Grandgeorges, Derazey, Gouvernel, Boula de Coulombiers, Urguette, Lehr, Krantz et Rol. 

L’accueil chaleureux qui sera fait au préfet Siméon en 1830 et les larmes versées à son départ en 1835 ne font que confirmer la coloration orléaniste de ces cercles de notables des Vosges autour de 1830.

Est-ce à dire qu’un unanimisme bienheureux régnait parmi les sociétaires ? On sait qu’au niveau national, les alliances des Trois glorieuses n’eurent pas de lendemain. À gauche, déçus dans leurs espoirs, les républicains entrèrent dans une opposition parfois insurrectionnelle, comme à Paris en 1832, tandis qu’au centre gauche une partie des libéraux, le « Mouvement », prend ses distances avec la politique de plus en plus conservatrice du parti de la « Résistance » incarnée, entre autres, par François Guizot, maintenant bien à droite. Au centre, un « Tiers parti » s’efforcera de jouer les arbitres. Et la droite ultra continuera de se manifester épisodiquement. Les bonapartistes ne sont pas alors en mesure de jouer le rôle politique qui sera le leur quelques années plus tard. L’atmosphère politique était extrêmement tendue et parfois violente. On retrouve toutes ces tendances dans les Vosges, sans les insurrections mais avec cependant quelques péripéties mouvementées que nous ne pouvons décrire ici, et il n’y a aucune raison de ne pas les retrouver au sein de la Société d’émulation, sans que bien sûr, il ne soit jamais ouvertement question de politique partisane dans les réunions, et encore moins si c’est possible dans les séances publiques.

Une poignée de républicains


A côté de la majorité orléaniste déjà évoquée et de quelques légitimistes résiduels, nous pourrions nous attendre à trouver quelques nostalgiques de l’Empire en la personne des vieux soldats que sont par exemple le baron Puton, Deblaye ou Mathieu, tous trois membres remarquables de la Société. Puton a reçu de quatorze à dix-sept blessures selon les sources dans les campagnes de la République et de l’Empire où il a laissé un œil. Ses positions en tant qu’industriel à la recherche de charbon vers Saint-Menge et Norroy témoignent de sa conversion au libéralisme, mais cela ne l’empêche pas de fréquenter la Charbonnerie et les républicains. Deblaye avait été laissé pour mort à la bataille du Mont-Saint-Jean, comme on appelait alors en France celle de Waterloo ; il sera sa vie durant très proche des républicains jusqu’à son élection en avril 1848 sur une liste monarchiste. Quant à Mathieu, le vétérinaire départemental pilier de l’Émulation qui avait laissé tous ses orteils aux alentours de la Bérézina, ses opinions politiques sont très discrètes et il ne doit pas être confondu avec son homonyme Mathieu d’Épinal, dit « La jambe de bois » auquel son engagement républicain vaudra plusieurs condamnations.

Même si l’affichage d’idées républicaines est permis en 1830 et ne deviendra criminel qu’en 1835, celles-ci sont considérées comme extrémistes et il n’est guère commode d’en identifier les partisans, à quelques exceptions notables près, et il faudra attendre 1848 pour que les « républicains de la veille » puissent relever la tête au grand jour.

Le premier à se faire vraiment remarquer politiquement à l’Émulation est Crassous, avocat, ancien conventionnel venu passer ses vieux jours chez son gendre à Épinal, mais dûment inscrit au barreau de la ville. En 1829, il provoqua par son engagement politique un incident qui faillit coûter la vie à la Société. Les personnalités identifiées ensuite comme républicaines sont principalement Deblaye et Léopold Turck. Le premier fut incontestablement de ce côté jusqu’au moment où il se fit élire sur une liste royaliste, mais longtemps après la période qui nous intéresse. En 1826, il été jugé par le préfet comme « un homme dont les opinions sont entièrement contraires au gouvernement et qui se fait remarquer dans les réunions les plus suspectes ». Le second, Léopold Turck, une personnalité de premier plan, médecin établi à Plombières après une jeunesse à Nancy, tint une place importante dans l’Émulation, à l’initiative et au cœur de bien des projets où l’humanité le dispute à la compétence. Il fut en butte aux tracasseries du préfet Siméon qui tenait les républicains pour de dangereux activistes irresponsables et qui tenta de contester ses titres universitaires pour l’accuser d’exercice illégal de la médecine. Le même préfet voulut encourager la Société d’émulation à publier un almanach populaire destiné à faire pièce aux idées probablement subversives à ses yeux de l’Almanach du peuple édité par Turck. Mais ce dernier réussit à surmonter toutes ces difficultés sans trop de dommages. Sans doute était-il devenu plus prudent que dans sa jeunesse de carbonaro. Il avait été en effet un des promoteurs de la Charbonnerie dans les Vosges en 1821. Il retrouvait alors dans cette organisation parfois violente est vouée à la clandestinité des gens comme Deblaye, le baron Puton ou Lesergent, qui sont passés eux aussi par l’Émulation.


L’incident Crassous

A l’occasion de la séance publique de 1829, le vice-président Crassous fut chargé d’un hommage à l’ex-préfet libéral Nau de Champlouis en présence de Vernhette, son successeur nommé par Polignac. Il devait s’en tenir aux seules questions propres aux relations du premier avec la Société d’émulation, ses collègues s’en remettant imprudemment ou malicieusement « à la prudence de l’orateur ». Mais il tint des propos tellement engagés politiquement que le préfet furibond voulut quitter la séance et menaça la Société de ses foudres administratifs. C’est paraît-il Pellet, avocat et poète, qui sauva l’Émulation par son entregent et son éloquence. Il ne reste pas trace des termes précis de Crassous, le discours reproduit dans les Annales ayant été soigneusement réécrit. On connaît l’incident par Charton qui le rapporte longtemps après dans son « Histoire vosgienne ». Nous en avons cependant une preuve dans un échange de courriers confidentiels entre Vernhette et son ministre de tutelle où il est débattu de l’opportunité pour un préfet de présider ou non les sociétés savantes, avec l’enjeu de pouvoir les surveiller de près face au risque d’éclaboussures en cas d’incartade.


Rapport avec la franc-maçonnerie


Enfin, nous ne saurions terminer ce petit tour dans l’univers idéologique et politique des adhérents à l’Émulation sans évoquer la question souvent posée des liens entre cette dernière et la franc-maçonnerie. Bien sûr, chacun sait que celle-ci n’est pas une organisation politique et qu’elle cultive la tolérance et l’ouverture d’esprit. Mais à un moment comme celui du règne de Charles X où le pouvoir s’enferre dans l’intolérance réactionnaire et la répression des idées, comment la tolérance et l’ouverture d’esprit ne se retrouveraient-elles pas mécaniquement projetées dans l’opposition ? Donc, même si la franc-maçonnerie n’est pas par nature orléaniste ou républicaine, elle réunira volontiers en son sein les adversaires des ultras, de telle sorte que l’appartenance à cette organisation pourrait constituer un marqueur politique relativement fiable aux alentours de 1830. Mais ce n’est pas aussi simple. Dans un sens, très à gauche, Jean Bossu évoque la possibilité que certains chefs de sociétés secrètes comme la Charbonnerie aient camouflé leur activisme derrière les structures de la franc-maçonnerie. Mais dans l’autre sens, ce même connaisseur de la confrérie écrit que La Bourdonnaye, ministre ultra s’il en est, aurait accueilli favorablement la demande d’agrément royal de l’Émulation en ses qualités de franc-maçon et chevalier du Temple. Si l’on ajoute à cela que l’appartenance à la franc-maçonnerie était plus que répandue chez les élites de l’Empire, reconnaissons qu’il devient difficile de s’y retrouver.

Toujours est-il qu’il est assez fréquent d’entendre et de lire que la Société d’émulation aurait été une sorte de refuge pour les francs-maçons spinaliens en mal de loge. Il est certain que la loge spinalienne de la Parfaite Union voit ses activités s’étioler et même disparaître aux alentours de 1830. Mais elle n’a pas encore disparu en 1825. Nous avons comparé, après Jean Bossu, les tableaux de la loge de la Parfaite union disponibles et celles de la Société. Le résultat montre effectivement une présence maçonnique, puisque l’on trouve une petite quinzaine de maçons actifs  parmi les fondateurs de l’Émulation, ainsi que quelques anciens initiés d’avant 1815 disparus des listes en 1825. Mais sur presque cent membres fondateurs, cette quinzaine ne représente qu’une faible minorité, et les deux tiers d’entre eux appartenaient déjà à la Société d’agriculture ou à la Commission des antiquités. Ils ne se sont donc pas rassemblés spécialement pour la naissance de l’Émulation.


On peut en revanche s’interroger sur la section des Sciences et Belles-Lettres, créée comme on le sait de toutes pièces en 1825, sous l’égide de Pellet qui en sera le secrétaire et de Crassous qui la présidera, tous les deux francs-maçons, ainsi que Guilgot-Brocart. Cette section sans budget, donc sans comptes à rendre, est celle qui comporte dans ses rangs le moins de fonctionnaires, ce qui lui confère une liberté d’action toute relative par rapport au préfet. Elle va recruter des compétences extérieures à Épinal et même au département parmi les médecins, les universitaires et les élèves des grandes écoles. Nous n’avons hélas pas d’informations sur l’éventuelle appartenance à la franc-maçonnerie de ces membres associés ou correspondants. Seul l’homme de lettres Albert Montémont est identifié comme tel. Cette section aurait-elle été plus que d’autres accueillante envers les francs-maçons ? La mort dès 1830 de ses deux chefs fondateurs, Crassous et Pellet, a peut-être mis un coup d’arrêt à un projet dans ce sens ? La question reste très ouverte.

Bien sûr, un certain nombre d’individus ont pu nous échapper. Certains quittent la région, d’autres y arrivent. Nous avons notamment laissé de côté les cas douteux pour cause d’homonymie et d’obscurité sur les dates. Néanmoins, il apparaît assez nettement qu’il serait abusif d’assimiler la Société d’émulation à une crypto-loge franc-maçonne, car même en se fixant sur les présents à la cérémonie inaugurale de janvier 1825 (ce jour-là, ils sont plus de la moitié si l'on compte les « inactifs »), on garde la proportion modeste que nous avons relevée. Et dans l’autre sens, on trouve un pourcentage comparable de francs-maçons actifs  intégrant l’Émulation, puisque la liste de la Parfaite Union dont nous disposons compte une centaine de noms. En conclusion, sur ce plan seulement quantitatif, à peu près 15 % des francs-maçons actifs entrent à l’Émulation où ils représentent environ 15 % de l’effectif. Pour autant, sur un plan qualitatif, plusieurs de ces francs-maçons comme Hogard (et bientôt son fils), Dutac, Deblaye ou Turck tiendront une place de choix dans la Société et ne manqueront donc pas d’y exercer leur influence, sous le regard attentif de l’autorité préfectorale, ne l’oublions pas. Enfin, pour en terminer avec ce point, observons sans plus de commentaires que Piers, le secrétaire général de la préfecture qui siège dans les trois sections de l’Émulation, a lui aussi été initié. Revenons à présent au fonctionnement et à la vie quotidienne de la Société d’émulation dans ses premières années.


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